Lutter contre ses peurs, choisir de les affronter, n’est pas un choix facile… Mais lorsque l’on prend la décision de le faire, cela ne peut qu’être bénéfique! Voici donc un joli témoignage de Cécile, participante aux stages « Vaincre le vertige » organisés par Béatrix Voigt, accompagnatrice du bureau des guides.
» Ce n’est que dans la tête … et bien non !
Celles et ceux qui ont le vertige, la peur du vide ou la peur des hauteurs (le tout appelé « acrophobie », en montagne ou ailleurs) ont sûrement entendu des remarques comme « Vas-y, ce n’est rien ! » « Allez, ce n’est que dans la tête ! » Et vous vous êtes sentis stupide,incapables d’avancer, la boule au ventre, les jambes tremblantes.
Ensuite, vous avez culpabilisé, parce que – au mieux – vous avez ralenti le groupe ou vous n’avez pas pris le pique-nique avec les autres préférant ne pas monter au sommet, ou parce que – au pire – vos compagnons de route ont dû faire demi-tour ou changer d’itinéraire car votre blocage était tel que rien n’allait plus.
Chez moi, c’était comme ça, et ça allait de pire en pire.
Un jour, j’ai trouvé dans un dépliant du bureau des guides et accompagnateurs de Grenoble l’annonce d’une soirée sécurité sur le thème du vertige, et des randonnées pour « Vaincre le vertige ».
La soirée était déjà une révélation : je ne suis pas seule avec mon problème. Nous étions plus de dix hommes et femmes, entre 25 et 72 ans, embêtés à différents degrés par leur vertige et leurs peurs, souffrant parfois énormément de leur incapacité d’affronter le vide, démunis devant l’incompréhension totale de leur entourage : en ski, en randonnée, en voiture ou à vélo sur des routes escarpés, à pied sur des passerelles ou belvédères, sur un balcon ou en travaillant en hauteur…
Quelques expériences et exercices d’équilibre, de coordination et autres tests plus tard, suivis d’explications de la part de Beatrix, l’accompagnatrice spécialisée en la matière, nous nous sommes sentis moins bêtes : Non, ce n’est pas que dans la tête, et oui, il y a des moyens simples à appliquer pour perdre ce vertige et la peur.
Malgré cette introduction rassurante, le jour de la randonnée « anti-vertige », certains admettent ne pas avoir bien dormi, se faisant tout un film de ce qui pourrait se passer ! Comme moi…
Le cadre de la randonnée est très joli et ne fait pas peur du tout, du moins au début. Face au Mont Granier, au milieu des prairies fleuries et des forêts habillées en vert tendre, nous faisons d’abord des exercices de coordination et d’enracinement pour améliorer notre équilibre. La montée est ponctuée par d’autres exercices ludiques, pour éveiller tous nos sens, notamment la proprioception.
La première partie sur la crête est encore en forêt, et déjà, je me sens moins à l’aise, vu la pente abrupte d’un côté. Je ne suis pas la seule. D’autres ne ressentent encore rien ; le fait de marcher entre les arbres les rassure.
Beatrix et sa stagiaire nous donnent des conseils et accompagnent les plus anxieux. Nous avançons d’un rythme régulier jusqu’à un premier point de vue. Certains sont capables de s’approcher du bord de la falaise et d’apprécier la vue, ils sont surpris d’eux-mêmes et du fait qu’ils puissent ainsi se mettre face au vide en bordure de la falaise – l’effet d’un meilleur « ancrage » après les exercices, dixit Beatrix.
D’autres restent en retrait, et moi, je m’effondre. Je ne tiens plus debout sur mes jambes, j’ai envie de pleurer. Pendant que les autres font des exercices des yeux et de respiration pour maîtriser la peur du vide, Beatrix tient mes mains, me fait découvrir l’endroit dans le corps où se manifeste la panique, et me donne des éléments pour surmonter ma peur.
Je me calme rapidement et rejoins le groupe près de la crête, en restant dans ma zone de confort. Toujours en bordure de la falaise, au-dessus d’un vallon boisé, des passages faciles et des endroits plus exposés s’alternent. Bizarrement, ma panique est passée et je continue sans trop de problèmes.
C’est au tour de quelqu’un d’autre d’avoir sa crise de peur, mais l’ambiance de compréhension mutuelle dans le groupe et les conseils donnés par Beatrix permettent de progresser, d’apprendre, de s’étonner des effets, voire d’apprécier le paysage ! La concentration sur ses pas, la respiration, le regard, le sourire, comment utiliser les bâtons, comment aider une personne à passer le cap, guider et être guidé, les œillères, … une panoplie d’astuces, et – miracle – malgré quelques appréhensions, nous réussissons tous le sentier sur la crête.
Repos et casse-croûte dans la forêt. Il ne faut quand même pas exagérer l’exposition au vide ! Nous avons tous énormément faim, c’est parce que la peur et la concentration consomment beaucoup d’énergie, nous explique Beatrix.
Bien requinqués, nous attaquons les passages de crapahute dans les rochers et la courte mais raide montée au sommet, une pointe herbeuse qui, tel la proue d’un bateau, surplombe Chambéry et offre une vue superbe sur le lac du Bourget, les Bauges, l’intérieur de la Chartreuse et même le Mont Blanc.
C’est l’endroit pour expérimenter les techniques de montée, de descente et de traversée, afin d’éviter de glisser, d’économiser ses forces et d’éviter les entorses.
Comme l’acrophobie va toujours de pair avec la peur de tomber, ces conseils sont extrêmement utiles et surprenants pour ceux qui pratiquent la randonnée depuis belle lurette et marchaient à l’ancienne, ce qui n’est pas toujours la meilleure solution, voire dangereux ! Je monte et descends qu’une seule fois, j’ai eu ma dose, et Beatrix me raccompagne au pied du petit sommet, pour joindre une autre dame qui n’est pas allée plus loin, où nous pouvons nous détendre dans l’herbe, face au soleil.
Les autres se prennent en photo en haut, grands sourires sur les visages ; les uns sont debout, d’autres assis, chacun comme il se sent à l’aise. Nous deux sommes d’accord, ce n’était pas un échec de ne pas arriver ou rester au sommet, c’était déjà une réussite d’arriver jusqu’ici !
Le groupe fait demi-tour après avoir suffisamment photographié les montagnes autour, et nous rebroussons chemin, c’est-à- dire, nous passons par les mêmes passages vertigineux ou techniques que ce matin.
Chacun peut demander de l’aide, qui se fait surtout entre les participants (et on ne devrait jamais hésiter à le demander, avant que la panique ne s’installe !), mais la plupart n’en a pas besoin et avance seul en appliquant les astuces et conseils qui lui étaient les plus utiles.
En file indienne, papotant, regardant le paysage, nous rentrons sur la crête, beaucoup plus à l’aise que le matin. La descente au parking se fait dans la bonne humeur, les pas sont sûrs, les échanges sur nos galères dus au vertige ou sur les endroits où l’on aimerait aller font que nous ne voyons pas le temps passer.
La journée se termine avec quelques tests d’équilibre et une introspection pour sentir ce qui se passe dans notre corps, notamment les pieds. Nous passons chacun en revue le chemin avec ses difficultés et comment nous avons réussi la progression, et embrassons du regard la beauté de la nature qui nous entoure.
A la fin, je suis épuisée et je ne suis pas la seule à manger avec appétit le chocolat et les fruits secs offert par Beatrix. Tout le monde est content de la journée. Le mot qui reviens le plus souvent, c’est « j’ai repris confiance ». Avoir découvert que l’on n’est pas seul et que des techniques diverses et variées existent pour vaincre son vertige ou du moins permettent de traverser un passage délicat, est rassurant.
La dame qui disait au départ qu’elle « accompagne son mari atteint du vertige parce que ça m’énerve et je ne sais pas quoi faire avec lui » est plus compréhensive vis-à- vis de ce phénomène et déclare d’avoir « compris que ce n’est pas que dans la tête, que mon mari n’est pas le seul à avoir ce problème, et maintenant, je sais comment l’aider. » On éclate de rire.
Même si l’on a fait à peine 5 km de distance et moins de 500m de dénivelé, et même si la majorité des randonneurs habituels considèrent le Mont Pellat comme un sommet anodin et facile, pour moi, c’était mon Everest. »